1.5. Caractérisation typologique

La typologie permet de classer les langues du monde selon leurs propriétés structurales sans tenir compte des relations de parenté.

Bien qu’il n’y ait aucune relation de parenté entre le finnois, le turc et le japonais, ces trois langues partagent un certain nombre de propriétés. Toutes les trois sont des langues synthétiques et agglutinantes avec postpositions.

Les 9 propriétés suivantes caractérisent le finnois :

  1. langue vocalique

  2. langue à harmonie vocalique

  3. langue synthétique

  4. langue agglutinante

  5. langue à cas morphologiques

  6. langue nominative

  7. langue SVO

  8. langue à postpositions

  9. langue avec subordination parataxique

1.5.1. Langue vocalique

Une langue est vocalique lorsque la fréquence des voyelles est égale ou supérieure à celle des consonnes. Il ne faut pas confondre la fréquence des voyelles avec le nombre des voyelles dans le système phonologique de la langue. Comme dans la plupart des autres langues, les voyelles du finnois sont moins nombreuses que les consonnes, mais leur présence dans l’usage dépasse celle des consonnes. Les études statistiques ont montré que le finnois était aussi – voire même plus – vocalique que l’italien. Dans ces deux langues, on trouve 96 consonnes pour 100 voyelles. Ce qui en fait les langues les plus vocaliques d’Europe. Le français présente 141 consonnes pour 100 voyelles, l’espagnol 122, l’allemand 177, et le tchèque 188.

1.5.2. Langue à harmonie vocalique

Cette propriété est développée en 3.1. L’harmonie vocalique. Pour l’essentiel, l’harmonie vocalique a pour effet d’aligner les voyelles suffixales sur une propriété vocalique du radical.

1.5.3. Langue synthétique

Une langue synthétique est une langue dans laquelle les mots contiennent plusieurs informations. On trouve notamment des informations grammaticales qui dans d’autres langues sont prises en compte par des mots indépendants ou par l'ordre des constituants. Les langues synthétiques s’opposent aux langues analytiques dans lesquelles chaque mot n’apporte qu’une seule information. Ce point est illustré par la comparaison suivante entre le finnois et l’anglais :

finnois (langue synthétique) :

autossani = auto+ssa+ni = voiture+inessif+1SG

dans ma voiture

anglais (langue analytique) :

in my car

dans ma voiture

Pour exprimer le même contenu, la même quantité d’information (voiture + possesseur de première personne + localisation interne = dans) l’énoncé anglais présente trois mots. En finnois, le même contenu est réalisé sous la forme d’un seul mot qui s’analyse en trois morphèmes. La préposition de l’anglais renvoie à un suffixe casuel en finnois et le déterminant possessif renvoie à une désinence de personne. Le français est plutôt analytique. On trouve cependant beaucoup d’exemples de formes synthétiques, et parfois les deux sont en concurrence. Exemple, l’expression du futur : il/elle viendra (viendra : forme synthétique) ; il/elle va venir (va venir : forme analytique). Autre exemple : doctoresse (forme synthétique), femme médecin (forme analytique).

1.5.4. Langue agglutinante

Le finnois étant une langue synthétique, les mots se présentent donc sous une forme complexe avec un contenu multiple. Dans les langues agglutinantes, un mot se présente comme une suite de morphèmes. Ce point est illustré par les deux exemples suivants :

taskuissani = tasku+i+ssa+ni = poche+PL+INE+1SG

dans mes poches

Ce mot complexe est le produit de l’agglutination de 4 morphèmes : sur le radical vient se greffer 3 suffixes :

  • le nombre (pluriel)

  • la localisation spatiale (= dans)

  • la personne du possesseur (première personne du singulier)

Pudottauduin = pudo+tta+udu+i+n = tomber+FACT+REFL+PRET+1SG

je me suis laissé tomber

Cette forme verbale complexe est le produit de l’agglutination de 5 morphèmes; sur le radical verbal du verbe tomber vient se greffer 4 suffixes :

  • le factitif (= laisser/faire)

  • le réfléchi

  • le temps (prétérit)

  • la personne (première personne du singulier)

On appréciera ici le degré de synthèse du mot finnois: 1 mot en finnois, 5 en français.

L’agglutination des morphèmes du finnois se fait par suffixation ; les morphèmes sont placés derrière le radical.

On oppose l’agglutination à la fusion. Une forme synthétique peut être obtenu par ajout de morphème (agglutination) ou par substitution de mot (fusion). À nouveau, comparons le finnois et l’anglais (l’anglais présentant ici un cas de synthèse entre le verbe et le temps) :

finnois (agglutination) :

meni = men+i = aller+PRET

est allé

anglais (fusion) :

went = go+PRET

est allé

Les deux mots contiennent la même information (verbe+temps) exprimée de manière synthétique dans les deux langues (deux informations en un seul mot). Les deux informations du finnois sont réalisées sous la forme de deux morphèmes (le mot finnois se découpe en deux parties) alors que dans la forme verbale anglaise le verbe et le temps sont indissociables. L’expression du prétérit se fait dans ce cas par le choix d’une seconde forme verbale distincte de la forme au présent (go et went). Pour les verbes réguliers de l’anglais, les formes verbales synthétiques s’analysent bien en deux morphèmes : opened = open+ed.

1.5.5. Langue à cas morphologiques

Les cas morphologiques sont des morphèmes ajoutés aux noms et aux adjectifs pour signaler leur fonction dans la phrase (objet direct, objet indirect, complément de nom...) ou pour introduire un contenu comparable à celui des prépositions. Le finnois a 14 cas. Deux exemples suffiront à illustrer cette propriété typologique: en (a), le complément d’objet direct est signalé dans la phrase par le suffixe -n (suffixe d’accusatif), en (b), l’équivalent de la préposition dans est le suffixe d’inessif :

  1. Pekka näki filmin eilen (filmin = filmi+n)

    Pekka voir+PRET film+=ACC hier

    Pekka a vu le film hier

  2. autossa (=auto+ssa)

    voiture+INE

    dans la voiture

1.5.6. Langue nominatives

Les langues nominatives s’opposent aux langues ergatives. Dans les langues nominatives l’objet d’une phrase transitive est signalé par un marquage morphologique. de l'objet (accusatif). Le sujet reste quant à lui non marqué, sans suffixe (nominatif). Dans les langues ergatives, comme le basque ou le géorgien, c’est l’inverse ; l’objet est non marqué (on parle alors de cas absolu) et le sujet de la phrase est marqué par un suffixe de cas (ergatif). L'exemple (a) ci-dessus illustre une structure nominative, sujet non marqué (nominatif) et objet marqué (accusatif).

1.5.7. Langue SVO

Les langues sont classées selon l’ordre des constituants majeurs de la phrase: sujet – verbe – objet. Le finnois et le français sont des langues S(ujet) V(erbe) O(bjet) (voir l'exemple finnois (a) ci-dessus). Mais contrairement au français, l’ordre des constituants peut varier en finnois. Le sujet étant distingué de l’objet par le marquage casuel, la réorganisation de la phrase à partir du schéma SVO permet selon le cas de mettre en valeur tel ou tel constituant. De fait de la variation de l’ordre des constituants à partir du schéma SVO (OVS, SOV, OSV...), l’ordre SVO du finnois est considéré comme un agencement neutre ou basique. Dans certains cas, il est le seul possible.

1.5.8. Langue à postpositions

Les langues se répartissent en deux types selon la position relative de l'adposition et de son complément. On parle de prépositions (pré+position) lorsque les adpositions sont devant leur complément, et de postpositions lorsqu’elles sont derrière. La très grande majorité des adpositions du finnois sont des postpositions. Deux exemples pour illustrer ce point (le complément de la postposition est au génitif) :

auton edessä = auto+n edessä = voiture+GEN devant

devant la voiture

Pekan luona = Pekka+n luona = Pekka+GEN chez

chez Pekka

La modification de la forme du nom Pekka au génitif (Pekan) est traitée en 3.2. L’alternance consonantique.

1.5.9. Langue à subordination parataxique

Ce dernier point relevant de la caractérisation typologique concerne la subordination. Considérons tout d’abord le cas du français : dans cette langue, comme dans toutes les langues indo-européennes, la subordination se fait par enchâssement d’une phrase simple dans une autre phrase. Soit la phrase simple Marie est venue hier. Cette phrase indépendante peut être incluse dans une autre moyennant la présence d’une conjonction de subordination (souligné dans l’exemple qui suit) : Pierre dit que Marie est venue hier. Ce type de subordination présente deux propriétés importantes : 1) la phrase subordonnée a exactement la même structure que la phrase indépendante correspondante, 2) la phrase subordonnée est reliée au reste de la phrase complexe par un mot approprié (conjonction de subordination). Cette stratégie (hypotaxe) est disponible également en finnois mais on peut faire autrement. Ce second mode de formation, commun dans langues finno-ougriennes, repose sur les formes nominales et participiales du verbe. Les deux phrases suivantes sont sémantiquement équivalentes mais diffèrent par le mode de subordination:

Pekka sanoo että Maria tuli eilen

Pekka dit que Marie+NOM venir+PRE+3SG hier

Pekka dit que Marie est venue hier

Pekka sanoo Marian tulleen eilen

Pekka dit Marie+GEN venir+P/PAS hier

Pekka dit que Marie est venue hier

La construction participiale se caractérisent par les propriétés suivantes : 1) la proposition subordonnée (Marian tulleen eilen) n’est pas une phrase, 2) il n’y a pas de conjonction de subordination, 3) le sujet de la proposition enchâssée est au génitif, 4) le verbe de la proposition enchâssée est une forme participiale.