2. Exercices de phonologie
Exercice 31 : [ø] et [œ] en français standard
Soit le corpus suivant :
apeuré | [apøʁe] | creux | [kʁø] |
deuil | [dœj] | deuxième | [døsjɛm] |
eux | [ø] | feuille | [fœj] |
fleur | [flœʁ] | heure | [œʁ] |
jeu | [ʒø] | jeune | [ʒœn] |
nœud | [nø] | meurt | [mœʁ] |
menteur | [mɑ̃tœʁ] | malheur | [malœʁ] |
liqueur | [likœʁ] | lieu | [ljø] |
leur | [lœʁ] | jeûne | [ʒøn] |
peu | [pø] | peur | [pœʁ] |
pieu | [pjø] | pieuvre | [pjœvʁ] |
pleuvoir | [pløvwaʁ] | pneu | [pnø] |
poreux | [poʁø] | preuve | [pʁœv] |
veulent | [vœl] | veule (adj.) | [vøl] |
terreur | [teʁœʁ] | sœur | [sœʁ] |
seul | [sœl] | veuve | [vœv] |
vieux | [vjø] | œuf | [œf] |
œufs | [ø] |
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Existe-t-il des paires minimales dans ce corpus ? Que peut-on en conclure ?
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Faites la distribution des deux voyelles en fonction de la nature de la syllabe.
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Dans quels contextes trouve-t-on respectivement [ø] et [œ] ? De quel type de distribution s'agit-il ?
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Que peut -on en conclure sur le statut phonologique de ces deux voyelles ?
Soit les couples de mots suivants :
peur | [pœʁ] | apeuré | [apøʁe] |
veulent | [vœl] | veut | [vø] |
meuble | [mœbl] | meublé | [møble] |
œuf | [œf] | œufs | [ø] |
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Pourquoi la voyelle écrite "eu" change de timbre dans chacun des couples de mots ?
Soit les couples de mots suivants :
menteur | [mɑ̃tœʁ] | menteuse | [mɑ̃tøz] |
râleur | [ʁalœʁ] | râleuse | [ʁaløz] |
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Ces mots sont-ils conformes à l'observation dégagée dans la question c) ?
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Pourquoi ces mots (ainsi que tous ceux qui répondent à ce modèle) se singularisent du corpus initial ?
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Posent-ils un problème pour le statut de l'opposition [ø] vs [œ] ?
Corrigé Exercice 31
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Les paires minimales du corpus sont les suivantes :
jeûne [ʒøn] jeune [ʒœn] veule(adj.) [vøl] veulent [vœl] L'existence de paires minimales permet de conclure que les sons [ø] et [œ] sont deux phonèmes en français standard, phonèmes /ø/ et /œ/.
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Les voyelles des paires minimales sont dans des syllabes fermées et les mots sont monosyllabiques.
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Distribution des voyelles [ø] et [œ] pour les mots autres que ceux qui interviennent dans les paires minimales :
syllabe ouverte syllabe fermée [kʁø]
[ljø]
[ø]
[apøʁe]
[pø]
[vjø]
[pjø]
[ʒø]
[nø]
[ø]
[pnø]
[døsjɛm]
[pløvwaʁ]
[poʁø]creux
lieu
eux
apeuré
peu
vieux
pieu
jeu
nœud
œufs
pneu
deuxième
pleuvoir
poreux[ʒøn]
[ʒœn]
[vøl]
[vœl]
[lœʁ]
[sœl]
[œf]
[mœʁ]
[mɑ̃tœʁ]
[pjœvʁ]
[sœʁ]
[œʁ]
[likœʁ]
[malœʁ]
[flœʁ]
[fœj]
[pʁœv]
[teʁœʁ]
[dœj]
[pœʁ]
[vœv]jeûne
jeune
veule (adj.)
veulent
leur
seul
œuf
meurt
menteur
pieuvre
sœur
heure
liqueur
malheur
fleur
feuille
preuve
terreur
deuil
peur
veuve[ø] est en syllabe ouverte ou fermée
[œ] est en syllabe fermée
Autrement dit :
En syllabe ouverte : [ø]
En syllabe fermée : [ø] ou [œ]
Il s’agit donc d’une distribution partiellement complémentaire.
Cette distribution partiellement complémentaire est due à la présence des paires minimales dans l'un des deux contextes. Les paires minimales mettent en jeu des mots monosyllabiques où les voyelles sont dans un contexte de syllabe fermée. Hormis les paires minimales, il y a distribution complémentaire des deux voyelles.
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L'opposition entre les voyelles [ø] et [œ] n'est phonologiquement pertinente que dans le contexte d'un mot monosyllabique dont la syllabe est fermée. Dans tous les autres contextes, les deux voyelles se comportent comme des variantes combinatoires. La distinction phonologique entre [ø] et [œ] est ainsi neutralisée dans les contextes qui ne sont pas ceux définis pour les paires minimales. Dans les contextes de neutralisation, il y a donc un archiphonème /ø/ dont la réalisation phonétique dépend de la nature de la syllabe.
Schématiquement, on peut résumer l'analyse comme suit :
Les deux sons : [ø] [œ] ↓ ↓ constituent deux phonèmes : /ø/ /œ/ dans le contexte : mot monosyllabique et syllabe fermée ↘ ↙ Ailleurs, il y a une neutralisation qui donne lieu à un archiphonème : /Ø/ ↙ ↘ qui se réalise phonétiquement : [ø] [œ] dans le contexte :
en syllabe ouverte en syllabe fermée Tableau récapitulatif :
Place de la syllabe dans le mot mot monosyllabique mot plurisyllabique Type de la syllabe syllabe fermée syllabe ouverte syllabe fermée syllabe ouverte Statut phonologique de l'opposition deux phonèmes [ø] et [œ] un archiphonème /Ø/ (paires minimales) (pas de paires minimales) Réalisation phonétique [ø] ou [œ] [ø] [œ] [ø] Les voyelles intermédiaires arrondies et antérieures [ø] et [œ] ont ainsi exactement la même distribution que les voyelles intermédiaires arrondies et postérieures [o] et [ɔ] (voir l’exercice précédent)
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Dans ces couples de mots, apparentés (respectivement nom et adjectif ou participe passé), l'alternance [ø]/[œ] dans la radical du mot est due à la nature de la syllabe ; [ø] lorsque la syllabe est ouverte, [œ] lorsque la syllabe est fermée.
ex: meuble [mœbl] (une syllabe fermée) meublé [mø-ble] (deux syllabes, la première syllabe est ouverte) Le fait d'ajouter ou de retrancher une voyelle derrière la consonne du radical (le radical est en gras dans l'exemple précédent) a pour effet de modifier la structure syllabique du mot. la syllabe fermée du mot [mœbl] devient une syllabe ouverte car la consonne finale devient la consonne initiale de la seconde syllabe lorsque la voyelle est ajoutée.
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Oui. Dans les couples de mots menteur/menteuse et râleur/râleuse, les voyelles [ø] et [œ] apparaissent en syllabe fermée. Il y aurait eu contradiction si elles avaient été en syllabe ouverte.
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Précédemment, on a vu que [ø] peut apparaître en syllabe fermée mais seulement lorsque que les mots correspondants étaient engagés dans une paire minimale. Ce qui n'est pas le cas ici.
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Les mots qui se terminent en "-euse" posent un problème dans la mesure où l'on s'attend à avoir un [œ], puisqu'il s'agit d'une syllabe fermée. D'autre part, ils n'entrent pas dans le cadre défini pour les paires minimales (mots monosyllabiques à syllabe fermée) ; la syllabe est bien une syllabe fermée mais les mots en "-euse" ne sont pas nécessairement monosyllabiques (ils peuvent l’être : Meuse, gueuse, lieuse, yeuse) : agrafeuse, coiffeuse, tondeuse, débroussailleuse... (voir également la question C de l'exercice précédent pour des faits similaires à propos de l'opposition [o]/[ɔ]).