Exercice 30 : [o] et [ɔ] en français standard

Soit le corpus suivant :

accord [akɔʁ] bordure [bɔʁdyʁ]
bosse [bɔs] cadeau [kado]
chaud [ʃo] chaumière [ʃomjɛʁ]
colle [kɔl] saute [sot]
sotte [sɔt] corps [kɔʁ]
notre [nɔtʁ] drapeau [dʁapo]
dépôt [depo] eau [o]
pomme [pɔm] sonne [sɔn]
homme [ɔm] faux [fo]
roc [ʁɔk] fort [fɔʁ]
forêt [foʁɛ] paume [pom]
gosse [gɔs] gros [gʁo]
(le) nôtre [notʁ] kilo [kilo]
mordant [mɔʁdɑ̃] heaume [om]
mot [mo] moteur [motœʁ]
métro [metʁo] or [ɔʁ]
orage [oʁaʒ] rauque [ʁok]
poli [poli] Saône [son]
possible [posibl] poste [pɔst]
sol [sɔl] vogue [vɔg]
zéro [zeʁo] saule [sol]
  1. Relevez les paires minimales dans ce corpus ? Que peut-on en conclure ?

  2. Dans quel contexte trouve-t-on les paires minimales ?

  3. Pour les mots qui ne sont pas dans une paire minimale, quelle est leur distribution ? De quel type de distribution s'agit-il ?

  4. Précisez la distribution des deux voyelles pour l'ensemble du corpus (tous les mots, y compris ceux des paires minimales) et dites de quel type de distribution il s'agit. Que peut-on en conclure pour l'opposition [o] vs [ɔ] ?

Soit les couples de mots suivants :

dorer - dore

voler - vole

loger - loge

  1. Pourquoi la voyelle du radical du verbe change de timbre dans chacun des couples de mots ?

Soit le corpus complémentaire suivant :

chose cause aube haute chauffe mauve
autre gaufre atome rose pose Claude
arôme dose
  1. Ces mots sont-ils conformes à l'observation dégagée dans la question 3 ?

  2. Posent-ils problème pour le statut de l'opposition [o] vs [ɔ] ? Que faut-il dire pour affiner la distribution des voyelles [o] et [ɔ] ?

Corrigé Exercice 30
  1. Les paires minimales du corpus sont les suivantes :

    saule [sol] sol [sɔl]
    saute [sot] sotte [sɔt]
    paume [pom] pomme [pɔm]
    Saône [son] sonne [sɔn]
    rauque [ʁok] roc [ʁɔk]
    heaume [om] homme [ʁɔm]
    (le) nôtre [notʁ] notre [nɔtʁ]

    L'existence de paires minimales permet de conclure que les sons [o] et [ɔ] sont deux phonèmes en français standard, phonèmes /o/ et /ɔ/.

  2. Les voyelles des paires minimales sont dans des syllabes fermées et les mots sont tous monosyllabiques.

  3. Distribution des voyelles [o] et [ɔ] pour les mots autres que ceux qui interviennent dans les paires minimales :

  4. syllabe ouverte syllabe fermée
    [ʃomjɛʁ]
    [zeʁo]
    [kilo]
    [dʁapo]
    [kado]
    [fo]
    [o]
    [poli]
    [foʁɛ]
    [metʁo]
    [posibl]
    [mo]
    [gʁo]
    [motœʁ]
    [ʃo]
    [oʁaʒ]
    [depo]
    chaumière
    zéro
    kilo
    drapeau
    cadeau
    faux
    eau
    poli
    forêt
    métro
    possible
    mot
    gros
    moteur
    chaud
    orage
    dépôt
    [kɔʁ]
    [bɔs]
    [pɔst]
    [akɔʁ]
    [bɔʁdyʁ]
    [vɔg]
    [gɔs]
    [fɔʁ]
    [kɔl]
    [ɔʁ]
    [mɔʁdɑ̃]
    corps
    bosse
    poste
    accord
    bordure
    vogue
    gosse
    fort
    colle
    or
    mordant

    [o] est en syllabe ouverte

    [ɔ] est en syllabe fermée

    Pour les mots qui ne forment pas une paire minimale, il y a distribution complémentaire selon la nature de la syllabe :

    En syllabe ouverte : [o]

    En syllabe fermée : [ɔ]

  5. L'opposition entre les voyelles [o] et [ɔ] n'est phonologiquement pertinente que dans le contexte d'un mot monosyllabique dont la syllabe est fermée. Dans tous les autres contextes, les deux voyelles se comportent comme des variantes combinatoires. Il y a distribution partiellement complémentaire puisqu’en syllabe fermée on peut avoir [o] ou [ɔ] alors qu’en syllabe on ne peut avoir que [o].

    La distinction phonologique entre [o] et [ɔ] est ainsi neutralisée dans les contextes qui ne sont pas ceux des paires minimales. Dans les contextes de neutralisation, il y a un archiphonème (noté /O/) dont la réalisation phonétique dépend de la nature de la syllabe.

    Schématiquement, on peut résumer l'analyse comme suit :

    Les deux sons : [o] [ɔ]
    constituent deux phonèmes : /o/ /ɔ/
    dans le contexte : mot monosyllabique et syllabe fermée
    Ailleurs, il y a une neutralisation qui donne lieu à un archiphonème : /O/
    qui se réalise phonétiquement : [o] [ɔ]
    dans le contexte :


    en syllabe ouverte en syllabe fermée

    Tableau récapitulatif :

    Place de la syllabe dans le mot mot monosyllabique mot plurisyllabique
    Type de la syllabe syllabe fermée syllabe ouverte syllabe fermée syllabe ouverte
    Statut phonologique de l'opposition deux phonèmes [o] et [ɔ] un archiphonème /O/
    (paires minimales) (pas de paires minimales)
    Réalisation phonétique [o] ou [ɔ] [o] [ɔ] [o]
  6. Dans ces couples de mots, morphologiquement apparentés (deux formes d'un même verbe), l'alternance [o]/[ɔ] dans la radical du mot est due à la nature de la syllabe ; [o] lorsque la syllabe est ouverte, [ɔ] lorsque la syllabe est fermée.

    ex: vole [vɔl] (une seule syllabe, fermée)
    voler [vole] (deux syllabes, la première syllabe est ouverte)

    Le fait d'ajouter ou de retrancher une voyelle derrière la consonne du radical (le radical est en gras dans l'exemple précédent) a pour effet de modifier la structure syllabique du mot. La syllabe fermée du mot [vɔl] devient une syllabe ouverte car la consonne finale devient la consonne initiale de la seconde syllabe lorsque la voyelle est ajoutée.

  7. Transcription du corpus complémentaire :

    chose [ʃoz] cause [koz]
    aube [ob] haute [ot]
    chauffe [ʃof] mauve [mov]
    autre [otʁ] gaufre [gofʁ]
    atome [atom] rose [ʁoz]
    pose [poz] Claude [klod]
    arôme [arom] dose [doz]

    Tous ces mots contiennent un [o] en syllabe fermée. Remarquons tout d'abord que les mots aube [ob] et haute [ot] forment deux paires minimales supplémentaires avec les mots Ob [ɔb] (fleuve de Sibérie) et hotte [ɔt]. Conformément à l'observation dégagée précédemment, ces paires minimales sont formées de mots monosyllabiques à syllabe fermée.

    D'après les résultats du corpus initial, nous devrions avoir en syllabe fermée [ɔ]. Ce corpus complémentaire ne met pas toutefois en cause la généralisation précédente ; les deux voyelles [o] et [ɔ] sont en syllabe fermée.

  8. Ces exemples montrent qu’il y a des contraintes supplémentaires sur la distribution des deux voyelles ; contraintes liées à la nature de la consonne qui ferme la syllabe. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit de constater que pour les mots du corpus complémentaire la consonne [z] est toujours précédée de la voyelle [o]. Si nous cherchons des mots ayant une syllabe fermée par [s], on s'aperçoit que la voyelle est cette fois un [ɔ]. Quelques exemples :

    cosse [kɔs] os [ɔs]
    noce [nɔs] brosse [bʁɔs]
    crosse [kʁɔs] rosse [ʁɔs]

    Il est possible de constituer des couples de mots qui ne sont cependant pas de paires minimales, étant donné que les mots se différencient par deux sons ; la voyelle et la consonne finale) :

    cosse [kɔs] cause [koz]
    rosse [ʁɔs] rose [ʁoz]
    os [ɔs] ose [oz]

    La généralisation est la suivante :

    [s] ⇒ [ɔ]

    [z] ⇒ [o]

    Cette généralisation doit être considérée comme une tendance et non comme une règle absolue dans la mesure où il existe des exceptions :

    hausse [os] grosse [gʁos]
    fausse [fos] sauce [sos]