6.3. L’analyse en traits morphologiques

Nous allons voir maintenant comment il convient de procéder pour justifier les traits morphologiques. Les exemples que nous analyserons sont ceux de la catégorie de l’article, du pronom personnel de première personne et de l’adjectif possessif de première personne :

a. article défini

  • le
  • la
  • les

b. pronom personnel

  • je
  • me
  • moi

c. adjectif possessif

  • mon
  • ma
  • mes

Commençons par l’article défini. On a vu précédemment que la matrice des traits morphologiques était composée de trois traits : un trait de définitude [±DÉFINI], un trait de genre [±FÉMININ] et un trait de nombre [±PLURIEL].

  • le = +défini -féminin -pluriel

  • la = +défini +féminin -pluriel

  • les = +défini +/- féminin +pluriel

Le trait commun à l’ensemble des trois termes est le trait de définitude [±DÉFINI], et les traits de nombre et de genre sont des traits oppositifs. Cette répartition systématique entre un trait commun et des traits différentiels se retrouve dans les deux autres paradigmes.

Chacun des traits se justifie par le fait que le mot correspondant entre en relation d’opposition avec un autre mot qui ne se différencie du précédent que par ce trait. La démarche suivie est ainsi exactement la même que celle suivie en phonologie pour déterminer les traits distinctifs des phonèmes.

Dans le cas de l’article le, le trait de définitude – trait commun aux trois termes – se justifie par l’existence d’un article qui ne se différencie de le que par le trait [+DÉFINI] et qui est par ailleurs identique par les deux autres traits ([–FÉMININ], [–PLURIEL]). Cet article qui a pour matrice morphologique les traits : [–DÉFINI], [–FÉMININ] et [–PLURIEL] est l’article indéfini un. On remarquera que le trait commun aux trois termes se justifie par le recours à un terme qui n’appartient pas au paradigme. Les deux autres traits - les traits différentiels - trouvent leur justification dans le paradigme lui-même. Le trait [–FÉMININ] est justifié par l’existence d’un terme qui est [+DÉFINI], [+FÉMININ] et [–PLURIEL], c’est l’article la. Le trait [–PLURIEL], se justifie au regard de l’existence de l’article les qui est [+DÉFINI], [±FÉMININ] et [+PLURIEL].

La justification des traits morphologiques des deux articles la et les se fait de la même manière ; chaque trait doit entrer en opposition avec un autre trait qui appartient à une matrice équivalente dont les autres traits restent inchangés.

Voyons maintenant le cas du pronom personnel de première personne. Le trait commun est bien entendu le trait de personne. On notera ce trait [1SG] sans signe ± car ce trait n’entre pas dans le cadre d’une opposition binaire; il appartient à l’opposition à 6 termes ([1SG], [2SG], [3SG], [1PL], [2PL] et [3PL]). Pour déterminer quels sont les traits différentiels, il convient de considérer la différence entre je et me, d’une part et entre je et moi d’autre part. La différence entre je et me est une différence de fonction ; le premier est un pronom sujet tandis que le second est un pronom objet (direct ou indirect). On utilisera par conséquent le trait [±SUJET]. La différence entre je et moi, est une différence entre pronom clitique (dépendant d’un verbe) et pronom non clitique. On codera donc cette différence au moyen du trait [±CLITIQUE]. Les matrices des pronoms de première personne du singulier sont les suivantes :

  • je = 1SG +sujet +clitique
  • me = 1SG -sujet +clitique
  • moi = 1SG +/-sujet -clitique

Justifions maintenant la présence des traits du pronom je :

Le trait de personne [1SG] se justifie par l’existence du pronom tu qui est [2SG], [+SUJET] et [+CLITIQUE] (on aurait pu prendre tout autre pronom ayant les trait [+SUJET] et [+CLITIQUE]). Le trait de fonction [+SUJET] se justifie par l’existence du pronom me qui est [1SG], [–SUJET] et [+CLITIQUE]. Le trait [+CLITIQUE] se justifie par l’existence du pronom moi qui est [1SG], [±SUJET] et [–CLITIQUE]. Ici il convient de remplacer le trait [–SUJET] par le trait [±SUJET] car le pronom non-clitique moi couvre toutes les fonctions (sujet : Toi et moi viendrons demain, objet : Regarde moi !, complément indirect : Il parle de moi). Il est donc neutre quant à l’opposition [±SUJET].

Pour l’adjectif possessif de première personne du singulier, je me contenterai de donner la liste des traits morphologiques. Le trait commun est à nouveau le trait de personne [1SG]. Le second trait est le trait de genre [±FÉMININ] et le troisième est le trait de nombre [±PLURIEL]. Pour les adjectifs possessifs, le trait de genre et de nombre correspond, non pas à la personne du possesseur mais au genre et au nombre du nom possédé avec lequel l’adjectif possessif est en relation d’accord.

  • mon = 1SG -féminin -pluriel

  • ma = 1SG +féminin -pluriel

  • mes = 1SG +/- féminin +pluriel

Pour la justification des traits morphologiques, je vous renvoie au corrigé de l’exercice correspondant.

Faire les exercices 20 et 21
Ces exercices portent sur l’analyse en traits morphologiques de mots. Chaque trait morphologique doit être justifié par une opposition avec un autre mot du même paradigme.