Première partie du cours : typologie des langues
4.1. Les critères
Dans ce qui suit, je propose quelques exemples de la classification typologique des langues au moyen d’un critère structural. Je limite à trois le nombre de critères pour chacun des domaines de l’analyse linguistique (phonétique, phonologie, morphologie et syntaxe).
4.1.1. Classification des langues au moyen d’un critère phonétique
Tons et registres : la présence de tons (variation mélodique pendant la réalisation des voyelles) ou de registres (les voyelles sont réalisées avec des hauteurs différentes) permet de répartir les langues du monde en deux types selon qu’elles contiennent ou pas des tons ou des registres. Les tons caractérisent une bonne partie des langues d’Asie (chinois, vietnamien, thai…) tandis que les registres se rencontrent dans une partie des langues d’Afrique (yoruba, igbo, éwé…).
Diphtongues : langues à diphtongues (anglais, finnois, chinois, khmer…) et langues sans diphtongues (français, turc…).
Clics : les clics sont des bruits de succion comme celui qu’on utilise pour faire avancer les chevaux. Certaines langues – très peu – les utilisent comme consonnes (tout bruit produit par les organes phonatoires est susceptible de fonctionner comme une consonne dans une langue). Les langues à clics sont les langues khoisan, hottentot (nama) et boshiman (on entend ces clics dans le film botswanais de Jamie Uys : Les dieux sont tombés sur la tête).
4.1.2. Classification des langues au moyen d’un critère phonologique
Cette classification fait référence aux traits phonologiques et aux propriétés prosodiques utilisées à des fins distinctives.
Labialité : l’opposition entre voyelles arrondies et voyelles étirées est pertinente dans certaines langues (français, turc, finnois, suédois, coréen…) mais pas dans d’autres (italien, espagnol, anglais, arabe, hindi…)
Hauteur : la hauteur est distinctive dans les langues à tons et dans les langues à registres.
Intensité : l’intensité est pertinente dans les langues qui font un usage distinctif de l’accent de mot. La place de l’accent étant variable, deux mots peuvent être en opposition uniquement par la place de l’accent (en Europe : anglais, italien, russe…). Par contre, l’accent d’intensité ne joue aucun rôle distinctif en français, allemand, tchèque, swahili… Dans ces langues, l’accent d’intensité est invariable (sur la première syllabe en tchèque, sur la dernière en français, sur l’avant-dernière en swahili…) et sa fonction est alors démarcative (il sert à l’identification des frontières de mots).
4.1.3. Classification des langues au moyen d’un critère morphologique
Genre grammatical : ce critère concerne également par extension tous les systèmes qui comportent une classification des noms (classes nominales, classificateurs). On distingue ainsi les langues avec genre grammatical (français, italien, danois, gallois, pashto, hindi, avar, swahili, lingala, chinois, vietnamien…) et les langues sans genre (finnois, turc, mongol, éwé, yoruba, indonésien, quechua…)
Cas grammaticaux : certaines langues identifient les fonctions syntaxiques de manière morphologique (désinence, clitique, particule, adposition). On distingue ainsi les langues avec cas (latin, allemand, polonais, lituanien, finnois, turc, hindi, géorgien, arabe, hébreu, japonais, coréen…) et des langues sans cas (français, anglais, suédois, gallois, irlandais, guarani, chinois, vietnamien, éwé, wolof…)
Nature des adpositions : les langues se répartissent en deux ensembles ; celles qui ont des prépositions (français, irlandais, russe, lituanien, arabe…) et celles qui ont des postpositions (finnois, turc, hongrois, hindi, japonais…). Ce critère sera repris et illustré plus loin, dans la présentation de la typologie implicationnelle.
4.1.4. Classification des langues au moyen d’un critère syntaxique
Ordre des constituants majeurs de la phrase : dans cette classification non binaire, les langues sont classées en fonction de l’agencement linéaire du sujet, du verbe et de l’objet. Les trois principaux types sont l’ordre SOV (turc, japonais, hindi…), SVO (français, anglais, finnois…) et VSO (arabe, gallois, maori…). Ce critère sera développé dans la partie consacrée à la typologie implicationnelle.
Nominativité/ergativité : ce critère qui fait référence à la forme des arguments du verbe dans la phrase transitive et intransitive est développé plus loin.
Nature du passif : la construction passive peut se présenter sous deux formes ; une forme analytique ou périphrastique et une forme synthétique. Dans les langues où le passif est de type analytique, la morphologie passive est répartie entre un auxiliaire et une forme nominale du verbe (participe). En français, la forme verbale passive est caractérisée par la combinaison être+participe passé. Les langues ayant ce type de passif sont notamment : le français, l’anglais, le gallois, l’hindi… Dans les langues ayant une construction passive de type synthétique, la morphologie passive est un morphème verbal qui se combine avec les autres morphèmes de la flexion du verbe. Le swahili est une de ces langues. Finnois, estonien, turc, japonais sont également des langues avec passif synthétique.
swahili |
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mwana amekuliwa na simba enfant …+manger+PASSIF+… par lion L’enfant a été mangé par le lion |
Cette phrase passive est à comparer avec la phrase active correspondante :
swahili |
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simba amekula mwana lion …+manger+… enfant Le lion mange l’enfant |
Dans cet exemple, les morphèmes de flexion (temps et accord en personne) ne sont pas glosés. La voyelle “i” devant le morphème de passif -w est une voyelle épenthétique (voyelle de transition entre deux consonnes).