2.3. La classification aréale

Des langues d’origine différente mais géographiquement contiguës peuvent présenter des propriétés partagées du fait du contact des langues (emprunts ou convergences). Ce type de regroupement de langues qui prend en compte à la fois la distribution géographique et un fait de structure qui relève de la typologie appartient à la linguistique des aires. Un exemple bien connu en Europe est la distribution de la palatalisation (appelée aussi mouillure) des consonnes. Les langues slaves se caractérisent sur le plan phonétique par une série de consonnes avec comme articulation secondaire une palatalisation. On oppose ainsi en russe des consonnes “dures”, sans palatalisation, et des consonnes “molles”, avec palatalisation (exemples : brat (frère) et brat’ (prendre)). L’opposition de mouillure se retrouve dans d’autres langues qui n’appartiennent pas au domaine slave mais qui sont à la périphérie géographique du russe : le roumain pour les langues romanes, l’estonien pour les langues fenniques, le lituanien pour les langues baltes, et d’autres encore selon R. Jakobson. Autre exemple, plusieurs langues d’Europe sans affinité génétique ont un possessif réfléchi. La carte suivante est empruntée à Bechert, G. Bernini, & C. Buridant (ed.) [1990].

Représentation géographique de la distribution du possessif réfléchi
Distribution du possessif réfléchi

Pour comprendre de quoi il s’agit, considérons tout d’abord le cas du français dans la phrase Marie a vendu sa maison. Le déterminant possessif sa peut renvoyer aussi bien à Marie, le sujet de la phrase, qu’à quelqu’un d’autre. C’est là une propriété générale du déterminant possessif de troisième personne. En letton, langue balte, en danois, langue germanique, et en finnois, langue fennique, l’ambiguïté précédente (que l’on a également en anglais dans Mary sold her house) n’existe pas dans ces langues car il y a deux formes du déterminant possessif ; une forme réfléchie (qui renvoie au sujet de la phrase) et une forme non réfléchie qui renvoie à quelqu’un d’autre. Exemples :

Letton

Forme réfléchie Forme non réfléchie
tēvs redzēja savu māju
père a vu sa maison
Père a vu sa maison
tēvs redzēja viņa māju
père a vu sa maison
Père a vu sa maison

Danois

Forme réfléchie Forme non réfléchie
Søren har solgt sit hus
Søren a vendu sa maison
Søren a vendu sa maison
Søren har solgt hans hus
Søren a vendu sa maison
Søren a vendu sa maison

Finnois

Forme réfléchie Forme non réfléchie
Jussi myi talonsa
Jussi a vendu maison+3SG
Jussi a vendu sa maison
Jussi myi hänen talonsa
Jussi a vendu de lui maison+3SG
Jussi a vendu sa maison

La comparaison entre le finnois et les deux autres langues montre que la propriété partagée par ce groupe de langues est plus d’ordre fonctionnel que structural ; les trois langues disposent d’un moyen pour distinguer la coréférence de la non coréférence avec le sujet (distinction entre la forme réfléchie et la forme non réfléchie), mais le moyen utilisé n’est pas de même nature. En letton et en danois, il s’agit de deux formes différentes du déterminant possessif, alors qu’en finnois la différence se fait par l’opposition entre présence et absence du pronom génitif.