Première partie du cours : typologie des langues
2.1. La classification géographique
Breton [1976] nous invite à bien faire la distinction entre la géographie linguistique et la géographie des langues. Seule la première concerne directement la linguistique car il s'agit de représenter et d'étudier la distribution d'une propriété qui relève de la structure interne des langues. La seconde discipline intéresse également le linguiste mais elle est avant tout le fait du géographe qui étudie pour sa part la distribution d'une propriété de l'humain : parler telle ou telle langue. À ce titre, il prend en compte la dynamique des langues, l'ethnolinguistique, les politiques linguistiques, les flux migratoires et évidemment l'origine des langues qui est du ressort du linguiste (linguistique génétique). La répartition géographique des langues (langues d'Europe, langues d'Afrique, d'Asie, du Caucase ...) au delà de la géographie des langues n'apporte que peu d'éléments à l'étude des différences entre langues car un fait de structure dans une langue ne pourra pas s'expliquer par la localisation géographique de ses locuteurs ni par leur identité ethnique. Par ailleurs, les grands ensembles géographiques de langues ne constituent que rarement des groupes de langues homogènes avec des propriétés structurales partagées qui les distinguent les uns des autres. Cela étant, on associe souvent un ensemble géographique de langues à une ou plusieurs propriétés saillantes dans ces langues. Mais dans ce domaine, il convient d'être prudent quant à la portée des observations car les contre-exemples sont systématiques. Quelques exemples ; 1) on associe les langues d'Asie avec les langues à tons (voir plus loin), mais cette caractéristique ne concerne qu'une partie seulement des langues d'Asie (le khmer ou cambodgien n'a pas de tons). De plus, la variation tonale est attestée ailleurs qu'en Asie, en suédois notamment, même s'il s'agit dans cette langue d'un phénomène très limité. 2) On associe les langues d'Afrique avec les langues à registres (voir plus loin) et avec les langues à classes nominales (voir plus loin). Mais ces deux propriétés ne sont pas présentes dans toutes les langues africaines ; le swahili (Kenya, Tanzanie, République du Congo, République démocratique du Congo...) n'a pas de registres et le yoruba (Nigeria) n'a pas de classes nominales. De plus, les classes nominales des langues africaines ne sont qu'une expression particulière de la catégorie du genre grammatical que l'on trouve aussi dans des langues d'Europe et dans les langues du Caucase. Quant à ces dernières, elles ne forment pas un ensemble homogène sur le plan génétique puisqu'on y trouve des langues kartvéliennes (géorgien, laze...), des langues abkhaz-adyghéennes (abkhaz, kabardien...), des langues nakho-daghestaniennes (avar, tchétchène...), des langues altaïques (azeri, koumik...) et des langues indo-européennes (arménien, ossète...). Étant donné leur origine différente, les langues du Caucase constituent un bel échantillon de la diversité linguistique sur un territoire relativement réduit. Le cas des langues du Caucase est à mettre en contraste avec celui des langues aborigènes d'Australie qui forment un ensemble très cohérent à la fois sur le plan génétique (toutes les langues aborigènes d'Australie se répartissent en deux familles dont on suppose de surcroît qu'elles ont un passé commun) et sur le plan typologique (beaucoup de similitudes, phonétiques, morphologiques et syntaxiques). Bien entendu, ces deux cas de figure opposés que représentent les langues aborigènes d'Australie et les langues du Caucase sont à mettre en rapport avec les particularités géographiques et humaines correspondantes ; insularité d'un vaste territoire d'un côté et région montagneuse au carrefour de l'Europe et de l'Asie de l'autre côté.
Plus intéressante est l'approche selon laquelle un ensemble géographique de langues présente un faisceau de propriétés partagées avec cependant des écarts importants pour certaines de ces propriétés. Néanmoins ce faisceau de propriétés contribue à une caractérisation globale du groupe de langues dès lors que les écarts sont relativisés par une approche quantitative.