7.2. Mots construits et mots non construits

Mot construit : Un mot construit est un mot complexe (plusieurs morphèmes) dont la signification globale est obtenue à partir de la signification de ses morphèmes.
Exemple :

  • orangeade = orange+ade
    -ade = préparation à base de …
    signification du mot dérivé = préparation à base d’orange

  • persilade = persi(l)+ade
    -ade = préparation à base de …
    signification du mot dérivé = préparation à base de persil

Par contre le mot salade qui est également un mot dérivé au moyen du suffixe -ade (base lexical = sel, sal étant un allomorphe de sel que l’on retrouve dans saler, salin, salpêtre…), n’est pas un mot construit, car une salade n’est pas une préparation à base de sel. Dans la conscience des locuteurs, salade est un mot simple dont la signification n’a plus rien à voir avec l’origine du mot (définition du dictionnaire Hachette : plante potagère…). Selon le dictionnaire Littré, salade a pour définition : “Mets composé de certaines herbes ou de certains légumes assaisonnés avec du sel, du poivre, du vinaigre et de l’huile”. Deux point de vue se présentent : le premier prend en compte la compétence des locuteurs pour lesquels salade est un mot simple ; et donc, un mot non construit. Le second se fonde sur l’origine du mot et dans ce cas, salade est un mot construit. Afin de concilier les deux approches, le mot salade peut être analysé comme un mot complexe dérivé mais non construit.

7.2.1. Mots dérivés construits et non construits

Considérons maintenant l’ensemble des mots suivants : {chanteur, voleur, réparateur, conducteur, électeur, lugeur, routeur, aviateur, facteur}. Tous ces mots sont a priori formés par dérivation au moyen du suffixe agentif -(at)eur. Tous partagent la signification agentive : celui qui… Les exemples chanteur, voleur et réparateur s’analysent facilement comme des mots construits avec une base verbale :

  • chanteur = chant+eur
    -(at)eur = celui qui …
    signification du mot dérivé = celui qui chante

De même pour les exemples conducteur et électeur, pour lesquels il faut néanmoins préciser que la base se présente sous la forme d’un allomorphe :

  • conducteur = conduct+eur
    -(at)eur = celui qui …
    conduct = allomorphe de la base verbale cond- (conduire)
    signification du mot dérivé = celui qui conduit

L’analyse est moins évidente pour les mots lugeur et routeur car il convient de restituer une base verbale peu usitée : luger = faire de luge et router = tracer la route. Ces deux verbes sont effectivement attestés en français (consulter le TLF (Trésor de la Langue Française) : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm). Routeur a pour signification : personne qui conseille au skipper la route à suivre dans une course à la voile. Routeur a aussi une signification instrumentale : ce qui permet de tracer la route ; propriété générale du suffixe -(at)eur qui s’applique aussi bien des personnes (suffixe agentif) qu’à des objets (suffixe instrumental) : photocopieur. Lugeur et routeur sont donc parfaitement réguliers : ce sont des mots dérivés construits.

Il en va différemment des mots aviateur et facteur pour lesquels il n’est pas possible de reconstruire la signification du mot dérivé à partir de la base lexicale et de son suffixe. Si l’on décrit la signification du mot aviateur comme étant : celui qui pilote un avion, et celle de facteur comme : celui qui distribue le courrier (une des significations du mot facteur), il n’est pas possible de restituer une base verbale en rapport avec la signification globale du mot. On dira donc que ces mots sont non construits.

Tous les mots de l’ensemble précédent sont donc des mots dérivés - reconnaissance d’un suffixe commun -(at)eur qui a une signification agentive ou instrumentale - mais certains sont construits et d’autres non.

Autre exemple du même type :

Soit l’ensemble des mots {peureux, épineux, aventureux, avantageux, capricieux, astucieux, joyeux, ennuyeux, crayeux, anguleux, comateux, heureux, aqueux, onctueux, visqueux, sinueux}. Comme pour l’ensemble précédent, cette liste non-exhaustive présente une gradation, allant des mots dont l’analyse est évidente aux mots dont l’analyse pose problème. A priori, tous sont analysables comme des adjectifs dérivés au moyen du suffixe -eux/euse qui exprime une qualité.

Peureux, épineux, aventureux, avantageux s’analysent aisément comme des adjectifs s de noms (à noter qu’il n’est pas facile de décrire la signification du suffixe avec une phrase qui convienne pour les exemples) :

  • peureux = peur+eux
    -eux = qualité/état en rapport avec …
    signification du mot dérivé = qualité/état en rapport avec la peur ou = qui a peur

Capricieux, astucieux s’analysent de même à la différence près qu’il faut prendre en compte la présence d’un allomorphe caprici- et astuci- pour caprice et astuce.

La même chose pour joyeux, ennuyeux, crayeux qui présentent également une base nominale allomorphique : joy-, ennuy- et cray- pour joie, ennuie et craie.

De même pour anguleux et comateux : angul- pour angle et comat- pour coma.

Les problèmes d’analyse apparaissent avec les mots heureux et aqueux. Il est cependant possible d’établir une relation sémantique entre l’adjectif et un nom, en faisant appel à l’étymologie. Heureux est dérivé du nom heur qui signifie chance (heureux = qui a de la chance, qui procure de la chance). Aqueux est à mettre en rapport avec le mot latin aqua (eau) ; aqueux = qui a la nature de l’eau). On peut donc les considérer comme des mots construits à condition de faire appel à une base nominale étymologique.

Par contre les mots onctueux, visqueux, sinueux, qui sont également des adjectifs qui expriment une qualité, ne peuvent pas être mis facilement en relation avec un nom en rapport avec la qualité. Onctueux est en rapport étymologique avec unctum (ce qui est oint (verbe oindre), visqueux avec le mot latin viscum (glu), et sinueux avec le mot latin sinus (sein). ll est donc très difficile pour ces mots de les considérer comme des mots construits. Ce sont donc bien des mots dérivés - reconnaissance d’un suffixe commun -eux/euse qui exprime une qualité - mais certains sont construits et d’autres non.

Faire les exercices 22 et 23
Ces exercices portent sur la classification de mots en différents types (voir le document 4). Si un mot est perçu comme étant un mot complexe, il doit être possible de rétablir la signification du mot à partir de la signification de ses morphèmes. Ce qui présuppose évidemment de connaître la signification du mot. Dans le cas contraire, le recours au dictionnaire est nécessaire.

7.2.2. Mots non dérivés et non construits

Considérons maintenant l’ensemble des mots suivants : {neutron, proton, électron, boson, fermion, hadron, gluon, lepton, photon, positon, muon, graviton…}. Tous ces mots se terminent en -on et ont la propriété commune de désigner une particule élémentaire du domaine de la physique des particules. Il est donc tentant de considérer la finale -on comme un suffixe ayant pour signification : particule élémentaire … Mais un suffixe est un morphème lié qui a pour caractéristique essentielle de sélectionner la catégorie de sa base lexicale. Dans les exemples précédents, -eur est un suffixe nominal agentif qui se construit avec un verbe, -eux-euse est un suffixe adjectival qui se construit avec un nom. L’analyse de ces mots montre qu’il est impossible de définir une catégorie unique car la règle sémantique qui relie le tout à une de ses parties (la base) varie d’un mot à l’autre :

  • neutron = particule élémentaire neutre
  • hadron = particule élémentaire régie par l’interaction forte (grec : hadrós = fort)
  • électron = particule élémentaire chargée électriquement
  • boson = particule élémentaire découverte par Satyendranath Bose
  • fermion = particule élémentaire découverte par Enrico Fermi
  • gluon = particule élémentaire de transmission de l’interaction forte (anglais : glue = colle)
  • positon (ou positron) = particule élémentaire de charge positive
  • photon = particule élémentaire de lumière (grec : phôtós = lumière)
  • muon = particule élémentaire notée µ (lettre grecque : µ = mu)

Ce sont des mots complexes dans la mesure où ils présentent une analyse en deux morphèmes mais le morphème lié -on n’est pas un véritable suffixe dérivationnel car sa signification (particule élémentaire) n’inclut pas une sélection de la catégorie de la base lexicale. Par ailleurs ce ne sont pas des mots construits car la formulation de la relation sémantique entre le tout et la base lexicale (relation entre neutre et neutron, entre hadrós et hadron, entre Bose et boson…) n’est pas constante.

La même analyse s’applique aux unités de l’analyse linguistique {phonème, prosodème, chérème, morphème, lexème, grammatème, sémantème, sème, synthème, monème…} et également à l’ensemble réduit des agrumes de petite taille {mandarine, clémentine, tangerine}.

Faire les exercices 24 et 25
Ces exercices portent sur la distinction entre mots dérivés construits et mots dérivés non construits.

7.2.3. Synthèse

À partir des oppositions suivantes :

  • mots complexes et non complexes
  • mots dérivés et non dérivés
  • mots construits et non construits

Il est possible d’envisager tous les cas de figure :

  • mots complexes, dérivés et construits
    • exemples : chanteur, acceptable, lentement, …
  • mots complexes, dérivés et non construits
    • exemples : salade, aqueux, parlement, …
  • mots complexes, non dérivés et construits
    • exemples : clairvoyant, géologie, informatique, …
  • mots complexes, non dérivés et non construits
    • exemples : neutron, morphème, clémentine, …
  • mots non complexes, non dérivés et non construits (mots simples)
    • exemples : maison, trop, devant, …

Cette typologie et ces exemples sont repris dans un schéma dans le document 4.