5.3. Les relations syntagmatiques hiérarchisées

Précisons tout d’abord l’idée générale qui est à l’origine de la différence entre la phonologie et la morphologie pour ce qui est de l’opération de commutation. Si l’opération de commutation fonctionne bien pour tous les segments phonologiques c’est parce que les mots se présentent et s’analysent comme une succession de phonèmes qui répond au schéma rudimentaire :

…+A+B+C+D+…

où des syllabes ou des phonèmes quelconques d’un mot sont représentés par les lettres A, B, C et D. La relation entre un phonème et un autre phonème est toujours du même type, de même pour les syllabes. Autrement dit la relation syntagmatique entre le phonème A et le phonème B est équivalente à la relation entre le phonème B et le phonème C, et ainsi de suite, de même pour les syllabes. L’arbre suivant illustre cette équivalence syntagmatique où toutes les syllabes ou tous les phonèmes sont sur le même plan et chacun d’eux est en relation uniquement avec ce qui précède et ce qui suit :

Schéma reliant les lettres A, B, C et D en un seul point

En morphologie le seul schéma possible pour les mots est le suivant (dorénavant, la base en gras, et l’affixe souligné):

    A+x
    basse+affixe

Un mot complexe se ramène toujours à la construction de deux éléments - et uniquement deux - où x représente un affixe et A, une base lexicale. C’est pour cette raison que la segmentation des mots de 2 morphèmes ne pose pas de problème. Si la forme A+x est la seule structure possible pour les mots, quelle est donc la structure interne des mots complexes de plus de deux morphèmes ? Elle est la même bien entendu, mais la structure A+x se reproduit de manière cyclique. Comme le montre le schéma suivant :

Schéma montrant la structure des mots complexes, ou A+x forme B, qui s'associe à y pour former C, et ainsi de suite

A+x forme alors une nouvelle unité morphologique B, qui va se combiner avec l’affixe y, on a alors la concaténation B+y. Cette nouvelle unité, toujours formée de deux parties va donner lieu à une autre unité C, qui va se combiner avec un autre affixe z pour former encore une nouvelle unité D.

Cette construction cyclique du mot complexe est donnée habituellement sous la forme d’une représentation parenthétisée :

[D[C[B A+x]+y]+z]

ou sous la forme d’un arbre :

Lien sous forme d'arbre entre les bases et les affixes en suivant la logique présenté précédemment dans le cours

On voit donc que la structure des mots, contrairement à la structure phonologique, n’est pas une simple structure linéaire, mais une structure hiérarchisée où les relations syntagmatiques se font sur des niveaux différents, et à chaque fois il s’agit d’une relation entre deux unités. Prenons par exemple le mot nationalité qui est formé de trois morphèmes. Le mot nationalité est tout d’abord le produit de la concaténation entre le nom nation et le suffixe adjectival al ; ce qui forme l’adjectif national. Ensuite cette unité - l’adjectif national - est associée au morphème nominal -ité pour former un nom, nationalité.

Représentation schématisée de la structure du mot nationalité

La représentation parenthétisée et la représentation en arbre font apparaître la segmentation en morphèmes et également l’identité catégorielle des unités formées par l’opération de concaténation. Ce qui permet d’exprimer les propriétés lexicales des affixes en jeu ; à savoir pour le mot nationalité, le fait très simple que le suffixe adjectival -al se construit avec un nom, tandis que le suffixe nominal -ité se construit avec un adjectif.

[N[A[N nation]+al]+ité]

Lien sous forme d'arbre entre les bases et les affixes en suivant la logique présenté précédemment dans le cours

L’opération de suffixation ne correspond pas ainsi à l’ajout d’un suffixe derrière un morphème, mais derrière un mot (base lexicale). -ité est suffixé au mot national (base lexicale) et non au morphème -al. Dit autrement, -ité est donc en relation syntagmatique avec le mot national et non avec le morphème -al, à la différence de la phonologie où chaque phonème est en relation avec un autre phonème, celui de devant ou de derrière.

Analyse du mot complexe nationalisation :

segmentation : nationalisation = nation+al+is+ation

On a tout d’abord la formation de l’adjectif national à partir du nom nation et du suffixe adjectival -al, puis la formation du verbe nationalise- à partir de l’adjectif national et du suffixe verbal ‑ise, et enfin la formation du nom nationalisation à partir du verbe nationalise et du suffixe nominal -ation.