Morphologie des langues - Exercices
16. Allomorphes 3
Soit les verbes suivants :
- déshériter
- déstabiliser
- désherber
- désemplir
- défaire
- déconnecter
- délocaliser
- dévoiler
- désarmer
- défroisser
- déficeler
- déshabillé
- dérégler
- désunir
- désactiver
- désintégrer
- désobéir
- déshonorer
a. Transcriver en phonétique ces mots.
b. À partir de la transcription phonétique, isolez le préfixe dans chaque mot.
c. Donnez la liste des différentes réalisations phonétiques du préfixe et précisez ce qui gouverne la distribution des allomorphes.
d. Quelle est la forme non-marquée de ce préfixe.
f. Pourquoi les verbes (se) déhancher et déhouiller échappent-ils à la règle précédente ? Comment expliquer cette apparente irrégularité ?
Corrigé de l'exercice 16 - Allomorphes 3
A. Transcription phonétique du corpus
- déshériter = [dezeʁite]
- déstabiliser = [destabilise]
- désherber = [dezɛʁbe]
- désemplir = [dezɑ̃pliʁ]
- défaire = [defɛʁ]
- déconnecter = [dekonekte]
- délocaliser = [delokalise]
- dévoiler = [devwale]
- désarmer = [dezaʁme]
- défroisser = [defʁwase]
- déficeler = [defisle]
- déshabillé = [dezabije]
- dérégler = [deʁegle]
- désunir = [dezyniʁ]
- désactiver = [dezaktive]
- désintégrer = [dezɛ̃tegʁe]
- désobéir = [dezobeiʁ]
- déshonorer = [dezonoʁe]
B. Les différentes réalisations phonétiques du préfixe
Le préfixe contraire se réalise sous deux formes : [de] et [dez]
- La forme [de] apparaît devant une base lexicale commençant par une consonne.
- La forme [dez] apparaît devant une base lexicale commençant par une voyelle.
Note : le préfixe négatif [de] s’écrit des- devant un mot commençant par une consonne [s] afin de maintenir la prononciation du radical : saler et dessaler, serrer et desserrer.
C. Forme non-marquée du préfixe
Les deux formes du préfixe sont en distribution complémentaire, et cette distribution ne permet pas de trancher en faveur de l’un des deux préfixes pour le choix de la forme marquée, étant donné que l’opposition voyelle-consonne est à mettre sur le même plan.[1]
Du fait que le critère distributionnel ne permet pas de choisir entre les deux formes, on s’en tiendra à la forme la plus simple dé- (= [de]) qui sera donc considérée comme le représentant du préfixe contraire. Ce préfixe peut être noté également dé(s)-.
D. Règle morpho-phonologique
dé(s)- → [de] __#C…
dé(s)- → [des] __#V…
Cette règle se lit ainsi :
- le préfixe dé(s)- se réalise phonétiquement [de] dans le contexte gauche d’une base lexicale ayant une consonne en position initiale.
- le préfixe dé(s)- se réalise phonétiquement [des] dans le contexte gauche d’une base lexicale ayant une voyelle en position initiale.
E. Deux irrégularités apparentes
(se) déhancher = [deɑ̃ʃe]
déhouiller = [deuje]
Bien que les deux bases lexicales contiennent un radical commençant par une voyelle [ɑ̃ʃ] (hanche) et [uj] (houille), on trouve le préfixe [de]. On s’attendrait à trouver le préfixe [des]. Ces radicaux se comportent en fait comme s’ils avaient une consonne en position initiale et non une voyelle. L’explication est à rechercher du côté de la forme graphique des mots simples (hanche et houille). La présence de la lettre « h » signale que la voyelle initiale du mot se comportent phonologiquement comme une consonne (je rappelle que la lettre « h » n’a aucune réalité phonétique dans la langue française ; les mots qui ont un « h » en début de mot se prononcent exactement comme s’ils n’en avaient pas). Ce point est confirmé par le comportement de ces mots dans le contexte de la liaison et de l’élision. Les mots qui commencent par une voyelle entraînent la liaison et l’élision tandis que les mots qui commencent par une consonne bloquent la liaison et l’élision.
Houille et hanche bloquent ces deux processus de phonétique syntactique. Ces mots se comportent comme si ils avaient une consonne en position initiale :
Les hanches = [lɛɑ̃ʃ]
Les houilles = [lɛuj]
La hanche (*l’hanche) = [laɑ̃ʃ]
La houille (*l’houille) = [lauj]
Contrairement à la transcription phonétique qui représente la prononciation des mots, cette propriété phonologique est notée dans une transcription phonologique par le signe ‘ qui correspond à une consonne virtuelle : /’ɑ̃ʃ/ et /’uj/.
Comme on peut le voir ici, un même processus phonologique permet d’expliquer ce qui se passe à la jonction de deux mots (élision et liaison) et à l’intérieur d’un mot entre deux morphèmes.
- Ce qui ne serait pas le cas s’il y avait une asymétrie dans la distribution des deux préfixes. Par exemple, si l’une des deux formes apparaissait devant une voyelle particulière et que l’autre forme apparaisse devant les autres voyelles et devant consonnes. Dans un tel cas de figure la seconde forme du préfixe serait considérée comme la forme non-marquée ; elle apparaît dans un plus grand nombre de contextes différents. ↩