3.1. Le signe linguistique, sens, signification et valeur grammaticale

Depuis Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique moderne, il est d’usage d’analyser le signe linguistique - on peut à titre provisoire assimiler le signe au mot - comme une unité à double face comportant d’une part un signifiant et d’autre part un signifié. Dans la langue orale, le signifiant correspond à la forme phonique du signe et dans la langue écrite, il correspond à sa forme graphique. Le signifié représente le concept associé au signifiant. À ces deux notions indissociables, il convient d’en ajouter une autre - le référent - qui représente ce à quoi renvoie le signe dans le monde. Il y a donc une ligne de partage entre ce qui est proprement linguistique - le signe, et ce qui est non linguistique : le référent. Cette conception du signe est illustré par le schéma suivant :

[ ʃa]
"CHAT"
extra-linguistique linguistique

Le référent est ici représenté par un dessin qu’il faut interpréter comme un objet réel ou imaginaire, un chat particulier - le chat de ma concierge par exemple - et le signe se présente sous la forme d’une transcription phonétique pour le signifiant, et sous la forme conventionnelle d’une notation en majuscule et entre guillemets pour le signifié. Pour être plus précis, nous devrions remplacer la notation “CHAT” par l’ensemble des propriétés descriptives nécessaires à la caractérisation du concept. On peut à cet effet utiliser la définition du dictionnaire : animal domestique de la famille des félidés.

La notion de signifié doit être précisée : dans l’exemple précédent, le signifié renvoie à deux notions distinctes, le sens et la signification, qu’il convient d’articuler correctement par rapport au référent.

Précisons tout d’abord qu’un signe linguistique ne se réduit pas au mot. C’est simplement par commodité que le signe est souvent illustré par un mot, comme dans l’exemple précèdent. Tout constituant de la langue fonctionne comme signe. Considérons les exemples suivants :

a. Le chat de la concierge était dans l’escalier hier
b. Le chat de la concierge
c. La concierge
d. concierge

Les quatre énoncés a, b, c et d sont des signes. Le premier est une phrase, le second et le troisième sont des syntagmes nominaux, le dernier est simplement un mot. Le référent de la phrase - ce à quoi elle renvoie dans le monde - est un événement situable dans le temps et dans l’espace. Les référents de b et de c sont respectivement un animal et une personne qu’il est possible également de situer dans l’espace, dans le temps, dans la réalité ou dans une fiction. Par contre le dernier exemple - concierge -, ne peut pas être associé directement à un référent. Le signifié des trois premiers énoncés met en jeu une signification et un sens. Le sens, c’est ce qui permet à une entité du monde (événement, objet, être vivant…) d’être représentée par un signe. Nous dirons que le chat de la concierge et la concierge sont des constituants avec un sens parce qu’il est possible de leur associer un référent. Par contre les simples mots chat et concierge, n’ont pas de sens, car tels quels, on ne peut pas leur associer de référent ; ils n’ont qu’une signification. On peut seulement associer aux signifiants chat et concierge un concept ; ce qu’est un ou une concierge, ce qu’est un chat. Par conséquent, les noms communs isolés n’ont pas de sens par eux-mêmes mais seulement une signification. C’est seulement lorsqu’ils sont employés dans la langue qu’ils acquièrent un sens au moyen notamment de la détermination.

Par ailleurs, le déterminant le est également un signe, mais son signifié n’est pas assimilable à une signification qui puisse faire l’objet d’une définition dans les mêmes conditions que les mots chat et concierge. Il n’a ni sens ni signification. Par contre il permet de construire le sens d’un mot à partir de sa signification, en lui donnant une interprétation particulière. L’article le permet d’isoler un élément parmi un ensemble d’éléments dont la nature est définie par la signification du nom. On dira alors que le a une fonction ou une valeur grammaticale dans l’énoncé - il permet de construire le sens - et le signifié de cet élément correspond à cette valeur grammaticale.

De ce qui vient d’être dit à propos du signe linguistique en général, on peut en déduire pour le mot qu’il a soit un sens, soit une signification, soit une valeur grammaticale. Les trois cas de figure sont illustrés par les exemples suivants :

a. hier, Paul, je : (sens)
b. chat, manger, joli : (signification)
c. le, de, à : (valeur grammaticale)

hier, Paul, je, sont des mots qui ont un sens mais pas de signification. Les mots chat, manger, et joli pris isolément ont une signification mais pas de sens, et les mots le, de, à ont une valeur grammaticale mais ni sens ni signification. Il faut surtout retenir ici que la plupart des noms communs n’ont par eux-mêmes qu’une signification. Notons au passage qu’un mot grammatical telle qu’une préposition peut combiner à la fois une valeur grammaticale et une signification. Si l’on considère les trois prépositions de, par et dans ; il y a une gradation entre ces trois prépositions qui va de la simple valeur grammaticale à une combinaison d’une valeur grammaticale avec une signification spatiale. La préposition par occupe une position intermédiaire : on peut considérer que sa signification est plus abstraite que celle de dans mais qu’elle n’est pas nulle comme dans le cas de la préposition de.

Le mot est donc un signe, et la définition donnée précédemment précise qu’il s’agit d’un signe segmental, c’est à dire qu’il se présente dans la langue nécessairement comme une unité isolable dans un énoncé et qu’il peut être analysé comme une succession de sons, de syllabes et de morphèmes. Ce point est important car le morphème quant à lui n’est pas nécessairement de nature segmental (voir plus loin).

Le mot n’est pas la plus petite unité qui fonctionne comme signe dans la langue ; c’est le morphème. Un mot tel que chanteur s’analyse en deux morphèmes chant et eur et chacun d’eux forme un signe. Les mots qui contiennent plusieurs éléments de signification sont des mots complexes, par opposition aux mots simples comme chat, escalier, hier qui ne sont pas analysables en signes segmentaux.