Cours - 1. La morphologie : définitions

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Cours: Morphologie des langues
Livre: Cours - 1. La morphologie : définitions
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Date: lundi 25 novembre 2024, 12:02

1. La morphologie : définitions

Pour commencer, deux définitions de la morphologie :

a. Étude des mots et de la forme des mots.
b. Étude des morphèmes, de leurs réalisations, de leurs fonctions et de leurs relations.

La première définition repose sur la notion de mot tandis que la seconde repose sur la notion de morphème.

1.1. Études des mots

La première définition a l’inconvénient de reposer sur la notion de mot et le mot est quelque chose qui se laisse difficilement définir d’un point de vue général. En fait, il est pratiquement impossible de proposer une définition simple du mot qui soit valable pour toutes les langues. On peut cependant dire que le mot est un concept commun à toutes les langues, mais chaque langue le définit à sa manière en fonction de ses propriétés phonologiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales. Il n’est donc pas surprenant que certains linguistes rejettent le mot comme unité d’analyse au profit du morphème.

Cependant le mot existe, et j’en donnerai pour preuve le fait qu’il est présent dans la conscience des locuteurs même dans les langues qui n’ont pas de tradition écrite, car il est vrai par ailleurs que le mot est souvent présenté comme une notion fortement marquée par la forme écrite de la langue.

1.2. Mot, forme de mot et lemme

Dès lors qu’on aborde l’étude des mots, il convient de faire la distinction entre mot, forme de mot et lemme.
Selon la première définition, on est amené à distinguer les mots et les formes de mot. Pour comprendre la différence entre les deux, nous devons partir de la phrase ou du texte. Dans la phrase qui suit :

    Je me suis donné le temps de lire la préface.

nous comptons 10 mots. Il s’agit en fait de 10 formes de mot car les constituants je et me, de même que le et la peuvent être considérés respectivement comme deux formes du même pronom et comme deux formes du même article.
Si nous considérons maintenant la langue dans son ensemble, nous sommes ainsi conduit à regrouper certaines formes de mot sous le même mot : il en serait ainsi des exemples suivants :

    {cheval et chevaux}
    {beau, beaux, belle et belles}
    {donner, donné, donnant, donnait, donnera, …}

Par contre la liste suivante :

    {accepter, acceptable, acceptation}

ne constitue pas un ensemble de différentes formes du même mot. accepter, acceptable, acceptation sont trois mots différents, bien qu’ils présentent une régularité de forme comparable à celle de la liste du verbe donner de la liste précédente. Il appartient donc à la morphologie - définie en termes de mot - d’expliquer pourquoi accepter, acceptable, acceptation sont trois mots différents alors que acceptait, acceptera et acceptons sont trois formes du même mot. Notons qu’ils ont tous en commun une part de signification et une part de leur forme phonologique (séquence en gras).
Une forme de mot est le mot tel qu’il est employé dans la langue, dans un énoncé. La forme du mot dépend principalement de son contexte phonologique et syntaxique.

  • nom

      maison et maisons sont deux formes du même mot. L’un est au singulier, l’autre, au pluriel

  • adjectif

      beau, beaux, belle, belles et bel sont des formes différentes du même mot ; variation en genre et en nombre (contexte syntaxique) et la différence d’emploi entre beau et bel dépend du contexte phonologique : bel devant un mot qui commence par une voyelle (bel appartement) et beau devant un mot qui commence par une consonne (beau décor).

  • pronom

      j’ et je sont deux formes du même mot ; le pronom de 1ère personne du singulier. Le premier est employé devant un mot qui commence par une voyelle tandis que le second est employé devant un mot qui commence par une consonne.

      je, me et moi sont trois formes du même mot ; le pronom de 1ère personne du singulier. Le premier est sujet, le deuxième est complément, et le troisième est employé notamment comme complément d’une préposition.

  • verbe

      chanter, chantons, chantaient, chanterait, chanté, chantées, … sont différentes formes du même mot. La variation concerne le mode, le temps et la personne. Pour les participes, la variation relève du temps (présent ou passé) du nombre et du genre.

  • adverbe

      très est l’unique forme du même mot (mot invariable)

Dès lors que la distinction entre forme de mot et mot est introduite, il est plus difficile de définir ce qu’est un mot. On peut contourner le problème en disant, par exemple, que maisons est une forme de mot et également un mot. Plus précisément, le mot se révèle plus complexe, plus abstrait, comme un ensemble de formes différentes qui partagent la même signification lexicale. La signification lexicale est ce que le dictionnaire donne comme définition du mot.

Résumons : chanter, chantons, chantaient… sont un même mot avec différentes formes car ils ont la même signification lexicale : produire sons mélodieux avec la voix…Par contre chanter, chanteur, chanson sont des mots différents car ils n’ont pas la même signification lexicale, même s’ils partagent des propriétés sémantiques. chanteur n’a pas pour définition : produire sons mélodieux avec la voix mais plutôt : celui qui chante ou personne qui chante …

Reste maintenant à introduire la notion de lemme. Lorsqu’on cherche dans le dictionnaire la définition d’un mot, sa signification lexicale, on ne cherche pas le mot à partir de toutes ses formes ; il n’y a pas une entrée dans le dictionnaire pour maison et une autre pour maisons, de même qu’il n’y a pas pour chaque forme verbale une entrée. Le mot est accessible dans le dictionnaire à partir d’une de ses forme : le lemme. Le lemme est donc la forme du mot qui représente l’ensemble des différentes formes du mot. Le choix de la forme lemmatique repose sur un principe simple : on retient la forme non marquée (le concept de marque a été introduit par le linguiste R. Jakobson). La forme non marquée d’un mot est celle qui ne contient aucune information spécifique, forme neutre, sans morphème explicite. Le singulier est la forme non marquée d’un nom car un mot au singulier tel que maison ne contient aucun morphème de nombre explicite, contrairement à la forme maisons qui présente un morphème de pluriel (en gras). Le masculin singulier est la forme non marquée d’un adjectif car un mot au masculin singulier tel que petit ne contient aucun morphème de genre et de nombre explicite, contrairement à la forme petites qui présente un morphème de genre (en gras) et de pluriel (souligné). L’infinitif est la forme non marquée d’un verbe car cette forme ne donne aucune indication de temps (infinitif = non fini) contrairement aux formes conjuguées et aux participes. Pour les pronoms, le choix de la forme lemmatique est plus délicat ; on peut retenir la forme moi pour le pronom de première personne du singulier dans la mesure où cette forme est la seule qui peut s’utiliser seule, en dehors de tout contexte. Les adverbes étant invariables, le lemme est identique à l’unique forme du mot.

Dans les exemples suivants, les formes de mot sont en italiques, le mot correspond à l’ensemble des formes, et le lemme est souligné :

  • nom {maison, maisons}
  • adjectif {beau, beaux, belle, belles, bel}
  • pronom de première personne du singulier {je, j’, me, m’, moi}
  • verbe {chanter, chantons, chantaient, chanterait, chanté, chantées, chantant, …}
  • adverbe {très}

1.3. Études des morphèmes

La seconde définition pose moins de problème du point de vue des termes impliqués : Il existe une définition non-ambigüe et générale du morphème. Cette définition est la suivante : Le morphème est la plus petite unité de langue qui soit dotée d’un signifiant et d’un signifié.

Je reviendrais sur la définition du morphème plus loin. Cette seconde définition ne dit rien de la relation entre les morphèmes et les mots. De fait, on peut traiter de la morphologie d’une langue sans qu’il soit nécessaire de faire appel au préalable à une définition générale du mot et à l’organisation des morphèmes en mots.

Cette seconde définition s’accommode mieux de la diversité des langues : elle permet la comparaison des langues alors qu’une approche de la morphologie à partir du mot ne peut conduire qu’à la constatation que le mot ne recouvre pas la même chose selon les langues. J’illustrerai ce point en comparant deux énoncés sémantiquement équivalents en français et en finnois (deux langues très différentes) :

    a. dans ses poches
    b. taskuissaan
    c. tasku+i+ssa+an (poche+pluriel+“dans”+3e personne)

Le groupe de mots français dans ses poches est traduit en finnois par un seul mot : taskuissaan. Là où en français, nous avons 3 mots, nous en avons qu’un seul en finnois. Par contre, si nous prenons le morphème comme élément de comparaison, les deux langues contiennent exactement les mêmes informations : l’énoncé français s’analyse comme une mise en construction syntaxique du mot poche, du nombre pluriel, du possessif de troisième personne, et de la préposition dans. Les mêmes informations se trouvent réunies dans le mot finnois, puisque celui-ci s’analyse comme une séquence de morphèmes (voir l’analyse morphologique en c). Les deux langues sont donc différentes quant à la forme des mots mais sont très proches quant au nombre de morphèmes présents dans l’énoncé (4 morphèmes dans les deux cas) et quant à leur signification. Dans cette comparaison on ne prend pas en compte l’accord en nombre entre le déterminant et le nom en français car il s’agit d’une propriété syntaxique. De même on laisse de côté ici le fait que le nom poche est masculin en français alors que la distinction de genre n’existe pas en finnois, car le genre grammatical n’est pas un élément de signification pour l’énoncé (le locuteur ne choisit pas le genre).

Les deux définitions sont donc à retenir, et nous les articulerons l’une par rapport à l’autre en définissant la morphologie comme l’étude des morphèmes, de leur(s) réalisations, de leurs fonctions et de leurs relations dans le cadre du mot. Le mot est ainsi conçu comme le produit de la mise en forme des morphèmes et comme l’unité la plus grande de l’analyse morphologique. De même que la phrase peut se définir comme l’unité maximale de l’analyse syntaxique. Précisons néanmoins que ce choix n’épuise pas l’analyse morphologique envisagée à partir des morphèmes. Certains morphèmes ont une fonction qui se définit non pas par rapport au mot mais par rapport aux syntagmes ou par rapport à la phrase dans sa totalité. La description de cette incidence de la morphologie sur la syntaxe s’appelle la morphosyntaxe.

Trois exemples simples suffiront à montrer que le morphème ne se définit pas seulement par rapport au mot :

    a. chanteur : [N chanteur]
    b. chants : [SN les premiers chants]
    c. chantions : [PHRASE Nous chantions la Marseillaise tous les 14 juillet]

Dans le mot chanteur, le morphème -eur est en construction avec le verbe chant(er) (avec le radical du verbe chanter pour être plus précis ; chanter étant une forme verbale infinitive, et sa présence n’a pas d’autre incidence sur le reste de l’énoncé dans lequel ce mot peut apparaître. Chanteur, du fait de la présence du suffixe -eur est un nom, et il aura par conséquent toutes les propriétés des noms simples dans la phrase. Par contre dans le mot chants (au pluriel) la présence du morphème de pluriel n’est pas une propriété du nom chant bien qu’il soit présent sur ce mot. Le pluriel est en fait une propriété du syntagme nominal tout entier. Cette propriété est explicite lorsque le nom chant est accompagné d’un déterminant et d’un adjectif comme dans le syntagme les premiers chants. Le pluriel est présent trois fois ; sur le déterminant, sur l’adjectif et sur le nom, mais il n’y a bien entendu qu’une seule notion de pluralité dans ce syntagme. La présence du pluriel sur le déterminant et sur l’adjectif relèvent d’une relation syntaxique d’accord dont la fonction est de signaler la cohésion du syntagme nominal. Considérons maintenant le mot chantions : ce mot contient un morphème de temps (-i pour l’imparfait) et la présence d’un morphème de temps dans une phrase n’est pas une propriété du verbe, même si c’est ce mot qui contient ce morphème. Le temps est une propriété de la phrase dans sa totalité, il en est d’ailleurs la principale caractéristique. C’est l’événement dans sa totalité (chanter la Marseillaise tous les 14 juillet) qui se situe dans le passé. Cette fois donc, le morphème de temps reçoit une interprétation dans le cadre de la phrase.

Faire les exercices 2 et 3

Ces exercices portent sur la segmentation d’énoncés (qui ne sont pas nécessairement des mots) en morphèmes. Les corpus sont empruntés à différentes langues afin de ne pas présupposer une segmentation en morphèmes ou mots sur la base d’une connaissance intuitive ou acquise. Voir le modèle d’analyse donné en annexe (document 2).