Cours - 5. La structure interne des mots complexes

5.4. Justification de la segmentation

Passons maintenant à la segmentation et à sa justification. Si la structure des mots complexes répond au schéma général A+x (base+affixe) la justification doit être opérée par étape de façon à ce qu’à chaque fois on ait seulement deux segments à justifier, et le segment qui se présente comme une unité devra - pour justifier précisément le fait qu’il s’agit d’une unité - commuter avec une unité inanalysable (mot simple).

Reprenons le cas de l’exemple nationalité (nation+al+ité)

  • représentation parenthésée : [N[A[N nation]+al]+ité]

  • représentation en arbre :

    Lien sous forme d'arbre entre les bases et les affixes en suivant la logique présentée précédemment dans le cours

Au premier niveau (première étape de la justification), il s’agit de la construction entre le nom nation et le suffixe adjectival -al. Le segment nation est justifié par la commutation avec région pour donner régional et le segment -al est justifié par la commutation avec le suffixe pluriel -aux :

nation + al :

nation- -al
nation- région- régional
-ité -aux nationaux

Au second niveau (seconde étape de la justification), on remarquera que la forme complexe national, qui fonctionne comme une unité par rapport au morphème -ité, commute bien avec un élément simple (pas de segmentation) tranquille, qui est un adjectif constitué d’un seul morphème, pour donner le mot tranquillité, et le suffixe -ité commute avec le suffixe -isme pour donner nationalisme.

national+ité :

national- -ité
national- tranquill- tranquillité
-ité -isme nationalisme

Analyse du mot dénationalisation.

  • représentation parenthésée : [N[V’ dé+[V[A[N nation]+al]+is]]+ation]
  • représentation en arbre :
    Lien sous forme d'arbre entre les bases et les affixes pour le mot *dénationalisation* en suivant la logique présentée précédemment dans le cours

Autre représentation plus lisible du mot (avec alignement des morphèmes) :

Autres représentation en arbre de la justification du mot détionalisation

Justificationn de la segmentation :

  • Premier niveau :

nation + al :

nation- -al
nation- région- régional
-ité -aux nationaux

Le radical nation se construit avec le suffixe adjectival -al pour former l’adjectif national. Nation commute avec région, et le suffixe -al commute avec le morphème pluriel -aux.

  • Deuxième niveau :

national+is :

national- -is
national- tranquill- tranquillise
-is -ité nationalité

La base lexicale national se construit avec le suffixe verbal -ise pour former le verbe nationalise. La forme complexe national commute avec la forme simple tranquille pour former le verbe tranquillise, et le suffixe -ise commute avec le suffixe -ité pour former le nom nationalité.

  • Troisième niveau :

+ nationalis :

dé- -nationalis
nationalis- re- renationalise
-ation -faire refaire

La base lexicale nationalise se construit avec le préfixe verbal - pour former le verbe dénationalise. La forme complexe nationalise commute avec la forme simple faire pour former le verbe défaire, et le préfixe - commute avec le préfixe re- pour former le verbe renationalise.

dénationalis + ation :

dénationalis- -ation
dénationalis- libér- libération
-ation -ait dénationalisait

La base lexicale dénationalise se construit avec le suffixe nominal -ation pour former le nom dénationalisation. La forme complexe dénationalise commute avec la forme simple libér- (libérer) pour former le nom libération, et le suffixe -ation, commute avec le suffixe verbal -ait pour former la forme verbale conjuguée dénationalisait. Nationalisation et libération sont donc des mots du même type à la différence près que nationalisation est dérivée à partir d’une forme complexe, alors que libération est dérivée à partir d’une forme simple.

On remarquera qu’il y a autant de niveaux d’analyse qu’il y a d’affixes dans le mot complexe.

La seule difficulté avec cette nouvelle segmentation réside dans la place du préfixe dans la dérivation. À quel moment, ou plutôt à quel niveau intervient la préfixation au moyen du préfixe - ? Nous savons que ce préfixe permet de créer un verbe à partir d’un autre verbe et que si ce préfixe apparaît avec des noms complexes, comme dénationalisation c’est parce qu’il s’agit en fait d’un nom dérivé d’un verbe. Par ailleurs, sachant que la structure des mots complexes est toujours de type A+x, il suffit de tester avec quelle unité morphologique il entre en construction. Comme le montre la série d’exemples suivants :

    *+nation
    *dé+national
    dé+nationalise
    dénationalis+ation

On n’a pas de nom *dénation, ni d’adjectif *dénational, par contre on a le verbe dénationalise. À ce niveau, nationalise, forme complexe, commute avec une forme simple comme faire pour donner +faire. Le préfixe - se construit toujours avec un verbe.

Nature catégorielle des affixes et des mots complexes.

Une représentation en arbre telle que celle du mot dénationalisation contient plusieurs informations :

Lien sous forme d'arbre entre les bases et les affixes pour le mot dénationalisation en suivant la logique présentée précédemment dans le cours

  1. Elle indique l’ordre linéaire des différents morphèmes, il y a 5 morphèmes dans ce mot : dé+nation+al+is+ation.
  2. Elle indique la nature catégorielle des morphèmes : nation est un nom, -al est un suffixe adjectival, -ise est un suffixe verbal et -ation est un suffixe nominal. La nature catégorielle des affixes est notée au moyen des lettres minuscules. On remarquera que le préfixe - dans cette représentation n’a pas d’étiquette catégorielle. En fait, ce type d’élément n’a pas de catégorie puisque ce n’est pas lui qui détermine la nature catégorielle du produit A+x.

Considérons les exemples suivants :

Justifiaction sous forme de représentation en arbre du mot lenteur

Justifiaction sous forme de représentation en arbre du mot souhaitable

Si lenteur est un nom c’est parce que -eur est un nom (suffixe nominal) , si souhaitable est un adjectif, c’est parce que -able est un adjectif (suffixe adjectival).

Justifiaction sous forme de représentation en arbre du mot refaire

Justifiaction sous forme de représentation en arbre du mot impur

Par contre, si refaire est un verbe, c’est parce que faire est un verbe. Si impur est un adjectif, c’est parce que pur est un adjectif.

On a donc ici une différence importante entre préfixe et suffixe en français. Lorsqu’il y a un suffixe dans un mot complexe, c’est lui qui détermine la catégorie du mot complexe, alors qu’avec un préfixe c’est la base lexicale qui détermine la catégorie du mot complexe.

Revenons aux informations contenues dans la représentation en arbre. Outre l’ordre des morphèmes et leur nature catégorielle, lorsqu’ils en ont une, on trouve également :

  1. Une information sur la nature catégorielle du produit de chaque affixation. Cette information est représentée par les lettres majuscules qui dominent les deux parties du mot à chaque niveau.

Ainsi dans dénationalisation, en procédant niveau par niveau, national est un adjectif parce que -al est un adjectif (suffixe adjectival), nationalise est un verbe parce que -ise est un verbe (suffixe verbal), dénationalise est un verbe parce que cette fois nationalise est un verbe et nationalisation est un nom parce que -ation est un nom (suffixe nominal).

Faire les exercices 18 et 19

Ces exercices portent sur l’analyse morphologique de mots dérivés. Les étapes de l’analyse sont :

  1. segmentation du mot en morphème
  2. restitution des étapes dérivationnelles
  3. justification de la segmentation
  4. représentation de la structure du mot sous la forme d’un arbre