Cours - 4. Les morphèmes

Morphologie des langues - 4.4. Les affixes

4.4. Les affixes

Les affixes sont de plusieurs types selon la place qu’ils occupent par rapport à leur base :

  • préfixes
  • suffixes
  • infixes
  • circonfixes
  • suprafixes

4.4.1. Les préfixes

Les préfixes se placent devant la base :

Langue Préfixe Exemple
français dé-
in-
anti-
post-
défaire (dé+faire)
inavouable (in+avouable)
anticorps (anti+corps)
postopératoire (post+opératoire)
anglais un-
pre-
unhappy (un+happy)
preview (pre+view)
gallois ech- Echnos = “nuit d’avant” :
ech “avant”+ nos “nuit”
géorgien v- Vc’er = “j’écris” :
v- “1ère personne”+ c’er “écrire”
tzotzil x- Xna = “ma maison” :
x- “1ère personne du singulier” + na “maison”

4.4.2. Les suffixes

Les suffixes se placent derrière la base :

Langue Suffixe Exemple
français -able
-ons
-ment
-iste

acceptable (accept+able)
chantons (chant+ons)
lentement (lente+ment)
gréviste (grév+iste)

anglais -s books (book+s)
italien -ate
-eto
parlate (parl+ate) “vous parlez”
uliveto = “oliveraie” : ulivo “olive” + ate (collectif)
turc -luk
-cik
-mek
-im
oburluk = “gourmandise” : obur “gourmand(e)”+luk (propriété)”
evcik = “maisonnette” : ev “maison”+ cik (diminutif)
kesmek = “couper”: kes- “coup(er)”+ mek (infinitif)
seçim = élection" : seç- “choisir”+ im (action) "
japonais -te
-ru
kakite = “écrivain” : kak(i)- “écrire” + te (agent)
taberu = “mange” : tabe- “manger” + ru (présent)
yolof -u uatu = “se raser” : uat “raser” + u (réfléchi) “se raser”

4.4.3. Les infixes

Les infixes prennent place dans la base. En arabe, le radical verbal est identifié par trois consonnes (KTB= écrire, KKM= parler, FTH= ouvrir, HBB= aimer, …). La dérivation verbale et la variation aspectuelle se fait par infixation. Quelques exemples à partir du radical KTB= écrire :

KiTāBun : livre
KāTiBun : écrivain
maKTaBun : bureau
KāTiBun : écrivain
KaTaB : écrire
KuTiB : a été écrit

Dans les exemples qui suivent, les infixes ne se présentent pas sous une forme discontinue comme en arabe, mais comme une syllabe supplémentaire (ou parfois uniquement une consonne comme en lituanien) qui vient s’insérer dans la structure syllabique du radical :

Langue Infixe Exemple
tagalog um tumakbo = “courir” :
takbo radical de “écrire” + um (infinitif)
balangao in ?inib?a = “conpagnons” :
ib?a “conpagnon” + in (pluriel)
lituanien n sninga = “il neige” :
snig- “neiger” + n (présent)
kamhmu sr srnee = “vrille” :
see “perforer” + sr (instrument)

4.4.4. Les circonfixes

Les circonfixes ont un statut très controversé dans la plupart des théories linguistiques en morphologie. A priori, un circonfixe est un affixe qui se place de part et d’autre de la base. Il s’agit par conséquent d’un morphème discontinu. Le statut des circonfixes est problématique car il est toujours possible d’analyser ce type de segment discontinu comme la conjonction d’un préfixe et d’un suffixe (on parle alors de dérivation parasynthétique). Exemples possibles mais discutables :

Langue Circonfixe Exemple
allemand ge…t gemacht : mach- “faire” + ge…t (participe passé) “fait”
français en…er
a…ir
emprisonner (prison+em…er)
assouplir (souple+a…ir)

Voyons comment les verbes emprisonner et assouplir, formés à partir des radicaux prison et souple peuvent être avantageusement analysés comme faisant intervenir une préfixation et une suffixation plutôt que de faire appel à la notion de circonfixe.

Dans le verbe emprisonner le préfixe em- et le suffixe d’infinitif -er peuvent être traités comme un circonfixe dans la mesure où la présence du premier segment implique la présence du second, et inversement : le mot *emprison n’existe pas, de même que le verbe *prisonner. La même chose pour assouplir, l’adjectif *assouple n’existe pas, ni le verbe *souplir. Ce qui apparaît comme étant ici un circonfixe est en réalité une présence simultanée d’un préfixe et d’un suffixe que l’on retrouve dans la langue indépendamment l’un de l’autre.

Considérons les deux autres exemples suivants comparables aux précédents :

Langue Circonfixe Exemple
français en…er ensabler (sable+en…er)
a…ir amaigrir (maigrir+a…ir)

Ensabler contrairement à emprisonner ne pose pas de problème ; on obtient le verbe sabler à partir du nom sable et on forme ensuite le verbe ensabler à partir du verbe sabler. De même pour amaigrir : maigrir est formé à partir de l’adjectif maigre, puis amaigrir est formé à partir de maigrir. La particularité d’emprisonner et d’assouplir provient du fait que la dérivation fait intervenir un mot qui n’est pas attesté dans la langue. L’absence des verbes *prisonner et *souplir doit être considérer comme un accident dans le lexique du français (le verbe *prisonner pourrait très bien exister et avoir pour signification “être en prison”). Toutes les possibilités offertes par la morphologie ne sont évidemment pas systématiquement exploitées par le lexique. Par conséquent, le cas des verbes emprisonner et assouplir en français ne doit pas être traité comme dérivés au moyen d’un circonfixe. Lorsque la formation d’un mot met en jeu simultanément un préfixe et un suffixe on parlera de dérivation parasynthétique. Cela montre par ailleurs que l’analyse morphologique d’un mot doit prendre en considération les autres contextes dans lesquels apparaît l’affixe problématique, et qu’il est nécessaire parfois de restituer dans la formation d’un mot des formes morphologiquement possibles mais non attestées dans la langue. Un autre exemple qui cette fois repose sur une attestation : le mot covoiturage pourrait également être analysé à priori au moyen d’un morphème discontinu (= voiture + co…age) ou d’une dérivation parasynthétique (préfixe + suffixe). En fait, ce mot est tout à fait régulier dans sa formation : à partir du nom voiture, on obtient le verbe voiturer, puis le nom voiturage par suffixation, et enfin covoiturage par préfixation. Ce qui donne à penser que le mot covoiturage comporterait un circonfixe ou serait du type parasynthétique tient au fait que le verbe voiturer et le nom voiturage ne sont pas d’un usage courant dans la langue. Mais ces mots sont cependant bien attestés dans la langue.

En conclusion, un véritable circonfixe - si cette notion est pertinente - se devrait d’obéir à une définition stricte de constituant discontinu. Cette définition est la suivante : la séquence A…B constitue un constituant discontinu si, et seulement si, la présence de A implique la présence de B, et la présence de B implique la présence de A.

Dans les exemples du tagalog donnés précédemment, nous avions bel et bien un authentique morphème discontinu de chaque côté de l’infixe (radical verbal = su…lat “écrire”). Mais -point important- il s’agissait là d’un radical et non d’un affixe.

Faire l’exercice 4
Cet exercice porte sur un possible morphème discontinu.

4.4.5. Les suprafixes

Les suprafixes sont des affixes prosodiques. Ils se placent “au dessus” dans la représentation phonologique. En phonologie, la prosodie couvre l’intensité, la hauteur et la durée. Les langues qui font un emploi distinctif de la prosodie peuvent utiliser l’accent (intensité), les registres ou les tons (hauteur) et l’opposition voyelle brève / voyelle longue ou consonne simple / consonne géminée (durée) également pour la dérivation et pour la flexion des mots. En fait on ne trouve attestés dans les langues que des exemples de flexion avec des suprafixes qui font varier la hauteur. En ngbaka, langue de la République démocratique du congo à trois registres (haut, moyen et bas), les registres interviennent dans la conjugaison des verbes. Dans l’exemple suivant un registre haut sur la voyelle du radical correspond à un futur, alors qu’un registre bas correspond à un parfait :

Langue Suprafixe Exemple
ngbaka ’ = haut
` = bas
= tirer (futur) : wa radical de “tirer” + ’ (futur)
= tirer (parfait) : wa radical de “tirer” + ` (parfait)
kinyarwanda ’ = haut nagíye = “je suis allé” (passé immédiat) : nagiye= “je suis allé” (passé)