Cours - 1. La morphologie : définitions

1.3. Études des morphèmes

La seconde définition pose moins de problème du point de vue des termes impliqués : Il existe une définition non-ambigüe et générale du morphème. Cette définition est la suivante : Le morphème est la plus petite unité de langue qui soit dotée d’un signifiant et d’un signifié.

Je reviendrais sur la définition du morphème plus loin. Cette seconde définition ne dit rien de la relation entre les morphèmes et les mots. De fait, on peut traiter de la morphologie d’une langue sans qu’il soit nécessaire de faire appel au préalable à une définition générale du mot et à l’organisation des morphèmes en mots.

Cette seconde définition s’accommode mieux de la diversité des langues : elle permet la comparaison des langues alors qu’une approche de la morphologie à partir du mot ne peut conduire qu’à la constatation que le mot ne recouvre pas la même chose selon les langues. J’illustrerai ce point en comparant deux énoncés sémantiquement équivalents en français et en finnois (deux langues très différentes) :

    a. dans ses poches
    b. taskuissaan
    c. tasku+i+ssa+an (poche+pluriel+“dans”+3e personne)

Le groupe de mots français dans ses poches est traduit en finnois par un seul mot : taskuissaan. Là où en français, nous avons 3 mots, nous en avons qu’un seul en finnois. Par contre, si nous prenons le morphème comme élément de comparaison, les deux langues contiennent exactement les mêmes informations : l’énoncé français s’analyse comme une mise en construction syntaxique du mot poche, du nombre pluriel, du possessif de troisième personne, et de la préposition dans. Les mêmes informations se trouvent réunies dans le mot finnois, puisque celui-ci s’analyse comme une séquence de morphèmes (voir l’analyse morphologique en c). Les deux langues sont donc différentes quant à la forme des mots mais sont très proches quant au nombre de morphèmes présents dans l’énoncé (4 morphèmes dans les deux cas) et quant à leur signification. Dans cette comparaison on ne prend pas en compte l’accord en nombre entre le déterminant et le nom en français car il s’agit d’une propriété syntaxique. De même on laisse de côté ici le fait que le nom poche est masculin en français alors que la distinction de genre n’existe pas en finnois, car le genre grammatical n’est pas un élément de signification pour l’énoncé (le locuteur ne choisit pas le genre).

Les deux définitions sont donc à retenir, et nous les articulerons l’une par rapport à l’autre en définissant la morphologie comme l’étude des morphèmes, de leur(s) réalisations, de leurs fonctions et de leurs relations dans le cadre du mot. Le mot est ainsi conçu comme le produit de la mise en forme des morphèmes et comme l’unité la plus grande de l’analyse morphologique. De même que la phrase peut se définir comme l’unité maximale de l’analyse syntaxique. Précisons néanmoins que ce choix n’épuise pas l’analyse morphologique envisagée à partir des morphèmes. Certains morphèmes ont une fonction qui se définit non pas par rapport au mot mais par rapport aux syntagmes ou par rapport à la phrase dans sa totalité. La description de cette incidence de la morphologie sur la syntaxe s’appelle la morphosyntaxe.

Trois exemples simples suffiront à montrer que le morphème ne se définit pas seulement par rapport au mot :

    a. chanteur : [N chanteur]
    b. chants : [SN les premiers chants]
    c. chantions : [PHRASE Nous chantions la Marseillaise tous les 14 juillet]

Dans le mot chanteur, le morphème -eur est en construction avec le verbe chant(er) (avec le radical du verbe chanter pour être plus précis ; chanter étant une forme verbale infinitive, et sa présence n’a pas d’autre incidence sur le reste de l’énoncé dans lequel ce mot peut apparaître. Chanteur, du fait de la présence du suffixe -eur est un nom, et il aura par conséquent toutes les propriétés des noms simples dans la phrase. Par contre dans le mot chants (au pluriel) la présence du morphème de pluriel n’est pas une propriété du nom chant bien qu’il soit présent sur ce mot. Le pluriel est en fait une propriété du syntagme nominal tout entier. Cette propriété est explicite lorsque le nom chant est accompagné d’un déterminant et d’un adjectif comme dans le syntagme les premiers chants. Le pluriel est présent trois fois ; sur le déterminant, sur l’adjectif et sur le nom, mais il n’y a bien entendu qu’une seule notion de pluralité dans ce syntagme. La présence du pluriel sur le déterminant et sur l’adjectif relèvent d’une relation syntaxique d’accord dont la fonction est de signaler la cohésion du syntagme nominal. Considérons maintenant le mot chantions : ce mot contient un morphème de temps (-i pour l’imparfait) et la présence d’un morphème de temps dans une phrase n’est pas une propriété du verbe, même si c’est ce mot qui contient ce morphème. Le temps est une propriété de la phrase dans sa totalité, il en est d’ailleurs la principale caractéristique. C’est l’événement dans sa totalité (chanter la Marseillaise tous les 14 juillet) qui se situe dans le passé. Cette fois donc, le morphème de temps reçoit une interprétation dans le cadre de la phrase.

Faire les exercices 2 et 3

Ces exercices portent sur la segmentation d’énoncés (qui ne sont pas nécessairement des mots) en morphèmes. Les corpus sont empruntés à différentes langues afin de ne pas présupposer une segmentation en morphèmes ou mots sur la base d’une connaissance intuitive ou acquise. Voir le modèle d’analyse donné en annexe (document 2).